dimanche 6 juin 2010

"Crise - La solution interdite" de Pierre Larrouturou

Crise - La solution interdite de Pierre Larrouturou, Desclée de Brouwer, 2009, 306p.

Voici ce qu'on peut appeler un essai militant.
Pierre Larrouturou délivre son analyse de la crise que nous vivons ainsi que de nombreuses propositions pour la combattre.

L'ensemble est écrit de manière directe et facile à comprendre pour le grand public (ce n'est pas du tout réservé aux économistes!), appuyé sur de nombreux graphiques clairs qui illustrent le propos, et accompagné de multiples citations qui permettent de recentrer les idées principales. C'est donc très didactique et aussi rapide à lire (2 soirées pour moi). Tout le monde devrait le lire histoire de se faire une idée, d'avoir un autre son de cloche que les tirades convenues du gouvernement et les critiques historiques des syndicats.

Premières impressions : un vrai coup de neuf et des idées concrètes qu'on aimerait voir appliquées !

Voilà qui donne envie d'aller voir l'évolution des idées sur le site de Nouvelle Gauche, association militante pour la création d'un nouveau pacte social. Son mot d'ordre "mobiliser" car :

“Le monde ne sera pas détruit par ceux
qui font le mal, mais par ceux qui les regardent
sans rien faire.”

———————————————————– Einstein


Résumé des idées clés (je ne mets pas le détail, il faut se reporter au livre!)

Intro : La crise actuelle était prévisible. La preuve : elle était prévue par de nombreux économistes, d'après les niveaux de dette public, et plus encore les niveaux de dette privée (celle des ménages).

Chap. 1 : la crise n'est pas une crise financière.
La partie financière de la crise n'est qu'une conséquence d'une crise plus générale de la société. Il s'agit à la fois d'un manque de consommation et d'un niveau de dette privée trop élevé qui s'expliquent par un ralentissement historique voire une stagnation du niveau des salaires, du à l'absence de pouvoir de négociation sur lesdits salaires à cause de la pression du chômage. Face à un ralentissement de l'augmentation des salaires, et à l' inflation (certes maîtrisée mais cependant présente) : le pouvoir d'achat des ménages diminue , ce qui est à l'origine de l'explosion de la dette des ménages. L'emploi et le niveau des salaires sont au cœur du problème.

Chap. 2 : Des conséquences graves :
1) La crise sociale porte en germe des violences de la part de la population (émeutes de 2005, révolte à Athènes etc. ) mais aussi de la part des Etats (La Chine a augmenté de 15% son budget militaire en 2009, une grave récession pourrait provoquer une misère sociale et dégénérer).
2) La crise a également des conséquences sur le confiance dans les dettes des Etats. (on voit aujourd'hui que la confiance dans la dette des États est effectivement mise à mal avec la crise grecque notamment) Des Etats ont déjà été en faillite et suspendu le payement de leur dette... Que se passerait-il si les Etats-Unis dont la dette est la plus élevée au monde étaient en faillite?

Chap. 3 : la mondialisation n'est pas coupable.
Certes les délocalisations existent et ont des conséquences locales graves. Cependant au niveau national elles ne sont pas du tout responsables de 4 millions de chômeurs que connait la France (chiffre tenant compte de l'ensemble des catégories de chômeurs) : La production industrielle continuait en effet d'augmenter au niveau national jusqu'en 2007, il n'y a donc pas à priori de destruction d'emploi au niveau national.
La France s'est sort bien dans la mondialisation-du moins pour le moment- c'est le deuxième pays, après les USA, a attirer les investissements étrangers. La balance commerciale était excédentaire jusqu'en 2003 et elle est toujours excédentaire pour la zone Hors-Europe (en 2008).

Chap.4 La crise écologique.

La crise écologique ne se limite pas au réchauffement climatique du aux gaz à effet de serre ("s'il fait un peu plus chaud, quel problème?"), elle concerne la multiplication des phénomènes de sécheresse, d'inondation, de tempête, la disparition de certains glaciers etc, la disparition de certaines énergies fossiles etc. L'accès à l'eau est déjà source de conflits et de flux de population, cela va s'accélérer: on estime que le dérèglement climatique pourrait provoquer le déplacement de 200 millions de personnes et coûter 5500 milliards d'euros selon un rapport de 2006 de Nicholas Stern, ancien chef économiste de la banque mondiale. Notre niveau de consommation actuel est supérieur à la capacité de renouvellement des ressources , et cela, sans compter le développement de la Chine, l'inde, l'Afrique qui rattrapent leur retard de développement, consommation et pollution..
la crise sociale et financière ne doit pas servir de pretexte pour oublier la crise écologique.

Chap. 5 . La Croissance n'est plus la solution (voilà une pensée audacieuse !!)
Contrairement à tous les dogmes " il faut que la croissance revienne pour que le chômage se résorbe, etc" Pierre Larrouturou développe cette idée novatrice. La croissance permettrait effectivement de faire baisser le chômage si elle était supérieure 3% par an, or si l'on regarde l'évolution de la croissance avant la crise on observe qu'elle était déjà assez loin de de niveau. Depuis les années 60 elle baisse globalement, sauf durant la période de 97 à mi-2001 où elle a été boostée par un pétrole bon marché et un euro faible (facilitant les exportations). A partir du moment où l'euro s'est mis à remonter au cours de 2001, la croissance s'est tassée.
La baisse du chômage durant cette période vient donc en partie du contexte extérieur, mais aussi de l'augmentation des dispensés de recherche d'emploi (pour les chômeurs de + de 55ans) et par l'augmentation des "chômeurs invisibles", non comptabilisés. Une partie seulement s'explique par la création des emplois jeunes (env 273 000) et par la création des 35 h (330 000 env, les chiffres sur la création d'emploi des 35 h ont fait couler beaucoup d'encre, il est difficile d'appréhender réellement leur impact)
Pourquoi le dogme" croissance = solution" ? c'est un courant de pensée qui date du début des années 70, quand la croissance était supérieure à 5%, c'est à ce moment que la plupart des dirigeants actuels ont été formés. Depuis l'informatique a crée une nouvelle révolution de la productivité, qui change complétement la donne.

Chap. 6 Comment dégager 30 milliards de marges de manœuvre?
1) créer un impôt européen sur les bénéfices (qui ne plomberait pas la compétitivité, car en moyenne, les bénéfices sont taxés à 25% en Europe et à 40% aux USA), ce qui donnerait également des règles communes et éviterait le dumping fiscal entre les pays européens.
2) créer une écotaxe
3) concrétiser la Taxe Tobin (sur les transactions financières à court terme au niveau européen)
4) revenir en France sur le bouclier fiscal et la loi TERA (dégagement d'env. 14 milliards d'€)

Chap. 7 Introduire des normes sociales et environnementales dans le commerce mondial
La Chine a signé de nombreuses conventions avec l'OMC, mais ne les respecte pas. Avec la montée en technicité de la Chine (fabrication d'avion, de train..)et son dumping salarial, le commerce international risque d'être prochainement extrêmement défavorable à l'Europe. Il ne s'agit pas de sombrer dans un protectionnisme stérile, mais de favoriser le développement.
Par exemple en donnant un délai de 3 ans pour la mise en place concrète de mesures sociales et environnementales, et si elles ne sont pas respectées, les produits seront taxés, le montant de cette taxe serait réservé au financement d'aides à la retraite dans ces pays ou la réalisation de projets de protection de l'environnement.

Chap. 8 mettre en place un traité de l'Europe sociale
comme le traité de Maastricht, il y aurait 5 critères à respecter (par exemple à partir de 2015) sous peine de pénalités (qui alimenteraient un fonds social):
- taux de chômage < à 5% -taux de pauvreté < à 5% - taux de mal logés < à 3% - taux d'illettrisme à l'âge de 10 ans < à 3% - aide publique au développement > à 1% du PIB
Voilà des objectifs qui pourraient mobiliser les européens, et les faire recroire en l'Europe. Une étape indispensable avant la création d'une Europe politique.

Chap. 9 augmenter la sécurité professionnelle.
Le fameux modèle Danois de flexi-sécurité n'est pas applicable tel quel dans les autres pays.
Pourquoi ne pas créer un bonus/malus antiprécarité par branche? Les entreprises d'une même branche employant plus de personnes en Intérim ou en CDD devraient pénalisées par rapport à celles qui créent des emplois sécurisés.
Les très petites entreprises devraient être aidées à créer de l'emploi, pour leur 1r ou 2e emploi créé.

Chap. 10 multiplier par 3 le budget logement
Les loyers ont augmenté beaucoup plus rapidement que les salaires et pèsent lourd dans la baisse du pouvoir d'achat des ménages. Ces loyers augmentant à cause du manque de logements disponibles. D'après la fondation Abbé Pierre, il faudrait construire 800 000 nouveaux logements par an pour sortir de la crise, or l'objectif du gouvernement est seulement de 500 000 et il n'est même pas atteint (moins de 400 000). Le secteur du bâtiment va perdre des emplois alors qu'il devrait embaucher! Pourquoi ne pas utiliser le fond de réserves des retraites (30 milliards) pour financer ces constructions, plutôt que de le placer sur des marchés financiers, où il risque de perdre brutalement de sa valeur à partir de 2010, quand les baby-boomer américain vont partir à la retraite et vendre leurs actions? Cette solution a été utilisée aux Pays-Bas où 50% du parc de logement est la propriété de syndicats et de coopératives. Le prix du loyer devrait être fixés par les eux et non pas par le prix du marché

Chap. 11 déclarer à la guerre au dérèglement climatique.
Perte accélérée de la biodiversité, disparition annoncée de certains glaciers, multiplication des sécheresses etc. le dérèglement climatique n'est pas une question d'augmentation d'indice de la crème solaire !
1)Une taxe sur l'énergie est nécessaire, mais pour qu'elle soit socialement acceptable il faut la penser un minimum. La taxe carbone manquait de clarté et de justice. Pourquoi ne pas créer d'abord un chèque vert (d'environ 130€ par ménage) versé aux particuliers, puis une taxe en fonction de la consommation d'énergie. Le prix de l'énergie doit augmenter pour permettre une véritable économie de cette dernière, mais cet effort ne doit pas se reporter brutalement sur les ménages les plus modestes.
2) rendre obligatoire un diagnostic thermique et un haut niveau d'isolation lors de la vente d'un logement.
3) développer les énergies renouvelables : 90% de l'électricité utilisée en Europe pour le chauffage est utilisée par la France! Or son rendement énergétique est très mauvais. Les énergies renouvelables et les productions alternatives de chauffages (biomasse etc.) devraient être développées. Des milliards ont été mis pour développer le nucléaire, il faut donner au moins autant de moyens pour les énergies alternatives.
4) créer un service civil européen ayant vocation à participer à des projets de sauvegarde de l'environnement.

Chap. 12 Partager le temps de travail
La productivité a augmenté de manière très forte depuis 74, et en parallèle la population active a augmenté, de ce fait l'écart s'est creusé entre l'offre et la demande de travail (d'environ 33%). Si la durée du travail avait en parallèle baissé de 33% depuis 74, le taux de chômage serait resté à peu près stable. Mais la durée du travail s'est maintenue.
La tentative de passer à 35h (l'objectif était de passer à 32h par la suite) a été un échec : selon l'INSEE la durée réelle d'un temps plein est de 41h en moyenne ( en 2008).
Pourquoi? parce que les négociations de la deuxième loi Aubry n'ont pas exigé la création d'emploi pour bénéficier des exonérations (70 milliards de francs en exonération), que la définition du temps de travail a été modifiée, et qu'il n'y a eu aucune obligation d'aller réellement à 35h.
Malgré cela, cette réduction du temps de travail (de l'ordre de 4%) a créé environ 350 000 emplois.
Pourquoi ne pas reprendre le processus, en créant la semaine de 4 jours ( 32 h) qui permettrait à elle seule de créer 1 600 000 emplois?
Il faudrait pour cela financer la création d'emplois en exonérant de 8% , mais seulement si il y a une baisse effective de la durée du travail ET au moins 10% d'embauche en CDI. Cette journée dégagée pourrait également permettre d'améliorer significativement la formation continue. La réorganisation du travail avec la semaine de 4 jours est possible pour les entreprises, même de petite taille.Elle est déjà en place pour 400 entreprises. Elle permet également de mieux gérer les coups de feu et les imprévus. Son impact au niveau macroéconomique a été calculé par Patrick Artus directeur des études économiques à la caisse des dépôts en 93 et il a attesté de sa faisabilité pratique.
Cette évolution du temps de travail n'est pas une abbération, entre 1870 et 1970, le temps de travail a été divisé par deux ( semaine de 7 jours, à 12h/j ->semaine de 5 jours à 8h/j) et depuis 1970, la durée du travail stagne alors que la productivité a augmenté !

Chap. 13 La solution interdite ?
résumé des différentes propositions et explication du blocage.